mercredi 7 novembre 2012

Franca Sozzani, mais pour qui te prends-tu ?


Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas été polémiques sur Incognito, alors pour ce WYSIWYG Wednesday, parlons de Franca Sozzani, une des personnalités les plus influentes du monde de la mode.





Vous la connaissez, vous Franca Sozzani ? Avant mon arrivée en Italie je dois dire que c'était une parfaite inconnue pour moi. Dans le petit monde du magazine Vogue je connaissais Anna Wintour, Carine Roitfeld et Emmanuelle Alt. Et puis j'ai appris un jour que Franca était l'alter ego de toutes ces femmes en Italie, car oui Franca Sozzani est l'éditeur en chef du Vogue Italia. Et en tant que telle elle a bien des mérites :
 
1. Franca fait partie des personnages les plus influents de la planète dans le monde de la mode, Franca a réussi à faire de Vogue Italia un des magazines mode les plus influents au monde avec seulement 140 000 exemplaires vendus par an, quand son alter ego américain a plus de 1,3 millions de lecteurs.
2. Franca est bardée de décorations dont la Légion d'Honneur décernée par Nicolas Sarkozy,
3. Franca est ambassadrice de bonne volonté pour les Nations Unies, Franca a écrit tout un tas de livres.
4. Et surtout, Franca a été récompensée pour deux publications en particulier, d'abord celle pour ses numéros "The Black Issue" de Vogue Italia célébrant la beauté des femmes noires et ensuite celle pour son numéro "Rebranding Africa" de L'Uomo Vogue.



 



















Jusqu'à présent Franca est la seule dans le monde de la mode à avoir montré un intérêt pour l'Afrique. Et cela sans pour une fois nous montrer des photos d'enfants africains morveux harcelés par les mouches avec un regard devant susciter en nous compassion et pitié. Une image que les ONG ont tellement su bien transmettre au monde entier que pour la majorité des gens l'Afrique, ce pays, ah pardon ce continent, est synonyme de pauvreté, guerre et famine. Une image, qui lorsque j'ai allumé la télévision en Italie est d'autant plus forte qu'il n'y a pas un moment où vous n'avez pas une publicité vous disant de supporter telle ou telle action pour aider Sabitou ou Touré qui souffrent de maladies horribles et qui meurent de faim dans leur pays. Alors lorsque j'ai vu sur vogue.it, la plateforme web du Vogue Italia l'initative de Franca j'étais toute enchantée. Au lieu de montrer l'Afrique telle qu'on a l'habitude de la voir, cette femme de fer a décidé de montrer que ce continent a du potentiel en promouvant ses artistes et jeunes créateurs.

L'idée de Franca me satisfaisait (plus ou moins) jusqu'à la publication au mois de mai de "Rebranding Africa" et de cet article sur Jonathan Goodluck, le président du Nigéria. Le titre de l'article étant "Goodluck Jonathan", je m'attendais à une interview ou à un article consacré à l'homme mais en fait non. Il s'agissait de Franca qui nous racontait son arrivée à Abuja, de sa préoccupation de photographier le président à la manière de Vogue, mais surtout il s'agissait d'un long mologue de Franca au président qui semblait l'écouter béatement, puisque pratiquement Mr.Goodluck n'a fait qu'acquiscer, sourire, et approuver avec satisfaction tous les conseils donnés par l'éditeur de Vogue pour faire du Nigéria un meilleur pays. Je vous dirais qu'à la lecture de cet article ma première pensée a été de me demander quelle était le sujet de ce papier : Jonathan ou comment Franca donne des leçons de gouvernance à un dirigeant politique ? Ma seconde pensée a été de me demander si Franca ne prenait pas ses lecteurs pour des imbéciles. C'est pourquoi je suis allée voir les commentaires. Parmi tous ceux-ci Franca n'a répondu qu'à un seul, et qui plus est à celui qui est le plus construit dans l'argumentation et démontrant la totale vacuité de l'article de l'éditrice. Cette réponse est bien construite et argumentée car elle éclaire sur la situation actuelle du Nigéria et ce pourquoi les propositions de Franca sont ridicules, du type construire des hotels et des boutiques (de luxe qui plus est !) pour attirer le tourisme quand déjà la majorité de la population est pauvre.



Jonathan Goodluck


La lectrice ( Rachel de son prénom) dont le commentaire a reçu l'attention de Franca Sozzani, a eu pour réponse :
"Cela faisait très longtemps que je n'avais pas reçu un commentaire aussi idiot sur mon site. Lorsque je disais musulmans, je ne me réfèrais pas au fait que l'entière population des musulmans du Nigéria est contre les catholiques puisque j'ai passé une partie de ma vie au Maroc et tous mes amis là-bas sont musulmans. Je pense que vous avez vu le côté négatif de l'article et je suis désolée de le dire mais c'est vous qui êtes contre votre propre pays, pas moi. Si nous donnons du travail aux femmes et construisons de nouvelles boutiques et nouveaux hôtels, même pour 5 % de la population, cela peut attirer le tourisme et donner du travail aux autochtones. Cela ne représente rien pour vous ? Est-il si inutile que j'aille les voir et que j'essaie de les aider ? Si c'est le cas, je suis désolée pour vous, vous n'aimez pas votre pays et ne voulez pas l'aider. Peu m'importe, je continuerais mon chemin et ce n'est certainement pas vous qui m'arrêterez. Juste pour votre information, tous le monde - jeunes designers, tailleurs et l'industrie de la mode - est très content et vend bien grâce à moi. C'est ce qui importe le plus pour moi."

Je me souviens il y a quelques temps, une vidéo de Garance Doré donnant une interview à Franca était sortie. Dans cette dernière, Garance lui demandait de parler de son blog et par conséquent de vogue.it. Notre éditrice disait qu'elle s'investissait énormément dans ce site et surtout que cette entreprise (la création du site Vogue Italia) a été un véritable succès car elle est devenue accessible, grâce à ce site les lecteurs "peuvent parler avec moi, se disputer avec moi, ils peuvent commenter [...] donc pour la première fois ils ont une relation avec quelqu'un".  

Si c'est le cas que veut dire cette réponse irrespectueuse démontrant encore plus que Franca s'est très peu informée sur la situation en Afrique ?

Voici les 3 raisons qui m'ont poussé à écrire cet article :

 1. L'ignorance. Comment peut-on comparer l'Islam du Maroc à celui du Nigéria ? Pour moi c'est comme comparer le catholicisme en France et le catholicisme en Italie. La religion est sûrement la même mais la façon de la percevoir est différente tout simplement parce que ce ne sont pas les mêmes pays.
2. La suffisance (qui fait souvent la paire avec l'ignorance). L'éditeur en chef de Vogue affirme venir aider en prenant un argument que même un élève de collège pourrait utiliser dans une dissertation, le tourisme, mais pas n'importe lequel,  celui de luxe comme moyen de revigorer l'économie. A part le fait que très peu aurait accès à ces privilèges, encore faudrait-il qu'il y ait les structures nécessaires pour y arriver.
3. L'arrogance. Dans sa réponse Franca souligne que designers et tailleurs vendent grâce à elle. Evidemment si on leur fait de la publicité, ils ne vont pas venir se plaindre si vous faites de la désinformation sur leur pays, après tout Vogue est une institution dans le monde de la mode, et de toute façon qui se préoccupe de cette désinformation (quand il s'agit de l'Afrique) ?

Je ne m'insurge pas contre Franca Sozzani en elle-même, mais contre ce comportement qui consiste à penser que parce que nous ne sommes QUE lecteurs nous n'avons pas la faculté de penser ou plutôt que nous n'avons pas vraiment notre mot à dire sur ce qui est publié. Parce que ce que Franca dit en réalité à cette lectrice, c'est qu'elle n'a qu'à se taire. Quelle utilité alors d'ouvrir un blog ?
Dans une interview qu'elle a donnée à Interview Magazine, Franca affirmait " Ca n'a pas d'importance si ce que je fais plaît ou pas. Je fais le magazine que je pense être correct. Si vous aimez ce numéro, je suis plus que satisfaite. Mais si vous n'aimez pas celui-ci, vous aimerez le prochain car nous publions 14 numéros par an. Donc dans une année il y en a forcément un que vous apprécierez, n'est-ce pas ?" non pas quand le journaliste ne s'informe pas bien, car en tant que lectrice je ne fais pas qu'apprécier, je sais AUSSI lire ET juger.

Après avoir été choquée par l'article de Elle France "Tendance black fashion poTendance black fashion power", celui du Vogue américain sur Asma El-Assad, celui de Franca Sozzani était la cerise sur le gâteau. Tous ces articles ont suscité de vives réactions de la part des lecteurs, et toutes les rédactions de ces magazines ont donné des réponses laissant croire que nous qui les lisons ne sommes que des imbéciles. 

C'est pour cela que j'aimerais vous demander : que pensez-vous du rapport entre les magazines de mode et leurs lecteurs aujourd'hui ?


Pour plus d'informations sur Franca Sozzani et "Rebranding Africa":
Rendez-vous sur Hellocoton !

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